tv5 monde le 22 /09/2007
"Alexandra" sortie le 26/09/2007
Le désastre humain causé par la guerre en Tchétchénie est dépeint avec force dans "Alexandra", beau chant de réconciliation signé par le Russe Alexandre Sokourov, qui sort mercredi sur les écrans français après avoir été en compétition au dernier Festival de Cannes.
Ce film d'une heure et trente-deux minutes a été tourné dans des conditions extrêmes, sous la protection du FSB (ex-KGB) vers Grozny où les régiments russes sont cantonnés, à proximité des mines et des explosions quotidiennes.
Porté par la belle photographie sépia d'Alexandre Burov, "Alexandra" évoque avec puissance les ravages causés par deux guerres dans cette république du Caucase. Si la première a duré deux ans (1994-1996), des combats sporadiques se poursuivent entre indépendantistes, islamistes radicaux et armée russe, sept ans après le début de la seconde en 1999.
Dans "Alexandra", la guerre est à la fois invisible et omniprésente : une guerre qui n'a rien d'héroïque, qui dure depuis bien trop longtemps, une guerre usante, sale, qui abîme les corps et les âmes, qui démoralise les soldats.
Le film suit les pérégrinations d'une babouchka, grand-mère russe ordinaire perdue dans une zone de conflit qui offre un paysage humain désolé, à la ligne de front aussi obsédante qu'invisible.
La silhouette lourde, une lassitude infinie mâtinée de volonté farouche dans le regard, Alexandra Nikolaevna - la cantatrice Galina Vichnevskaïa, la veuve du violoncelliste Mstislav Rostropovitch, magistrale dans son premier rôle - est une veuve et grand-mère comme il y en a tant en Russie.
Elle quitte Saint-Pétersbourg pour retrouver son petit-fils Denis (Vassili Chevtsov), officier basé en Tchétchénie, qu'elle n'a pas vu depuis sept ans.
Bravant l'inconfort du voyage en train, puis en tank, elle atterrit de nuit dans un camp militaire perdu dans un paysage rocailleux et quasi lunaire.
Là, elle retrouve Denis et ses semblables, des hommes jeunes mais usés, sales et suants dans leurs mauvais uniformes, confinés dans de sordides baraques, et moralement minés, car retranchés de la vie depuis trop longtemps.
Alexandra hante le camp, parle aux uns et aux autres, hume les odeurs "des armes, du fer, des hommes", brave les interdits, observe tout : "Je veux regarder. C'est important pour moi", dit-elle.
Elle finit par se lier avec des femmes tchétchènes, et par découvrir en elles des âmes soeurs, au fil de belles scènes profondément humanistes.
Considéré comme un héritier spirituel d'Andreï Tarkovski, Sokourov est à 56 ans l'auteur d'une quarantaine de films au style dépouillé, des fictions ("Les Jours de l'éclipse", "Le Deuxième cercle"...) mais aussi des documentaires anticonformistes, peu diffusés en Russie.
Il a notamment signé un portrait d'Hitler dans "Moloch" (1999) et un autre de Lénine, intitulé "Taureau" (2001).
Ce fils d'un officier de l'armée a débuté comme assistant à la télévision locale de la ville de Gorki au début des années 70, avant de suivre les cours de la prestigieuse école de cinéma moscovite VGIK et de devenir l'un des meilleurs réalisateurs de l'école documentariste de Leningrad.
"Alexandra" sort dans 25 salles.