Roman Chleïnov est journaliste à Novaïa Gazeta, le bi hebdomadaire russe où travaillait Anna Politkovskaïa. Un an après l’assassinat de sa collègue, il revient sur l’avancée de l’enquête.
Un an après l'assassinat d'Anna Politkovskaïa, y a-t-il eu des événements à Moscou pour commémorer la mort de la journaliste ?
Il y a eu un rassemblement place Pouchkine, au centre-ville de Moscou, mais, malheureusement, peu de gens s'étaient déplacés. Nous-mêmes, à la rédaction, nous n'avons rien fait de spécial, mais nous lui avons bien évidemment consacré notre une.
D'après l'enquête officielle, le meurtre aurait pu être commandité par un Russe millionnaire en exil en Grande-Bretagne. Il s'agit d'une mise en cause à peine voilée de l'homme d'affaires Boris Berezovski. Quelle est votre opinion ?
J'ai moi-même assisté à la conférence de presse du procureur général, le 28 août dernier, et je peux dire que le nom de Berezovski n'a jamais été mentionné. En fait, c'est plus compliqué que cela : en novembre 2006, l'ex-agent des services secrets russes Alexandre Litvinenko a été empoisonné à Londres, alors qu'il se serait apprêté à recevoir des preuves concernant le meurtre d'Anna. Or, Andreï Lougovoï, un homme d'affaires russe vivant dans la capitale britannique, a été accusé d'avoir empoisonné M. Litvinenko. Pour se défendre, il a déclaré que Berezovski aurait été à l'initiative des meurtres de Litvinenko et Politkovskaïa. D'où ces rumeurs...
Quel intérêt aurait trouvé Berezovski à commanditer un tel meurtre ?
L'interprétation officielle est que Berezovski voudrait simplement "ternir l'image de la Russie", et revenir à un système où l'oligarchie dirigeait le pays. Mais ce ne sont que des allégations et je ne veux pas rentrer dans cette polémique.
En août, le procureur général a annoncé l'arrestation de dix suspects, dont deux Tchétchènes. Qu'en pensez-vous ?
Ces informations sont exactes, mais les noms des suspects restent confidentiels et je ne souhaite donc pas donner d'avis sur la question.
Même si Novaïa Gazeta a son propre point de vue sur l'affaire, il semble, d'après des informations que votre journal a transmises à des médias étrangers, que vous tombiez d'accord sur la piste tchétchène pro-russe. En effet, nous avons été en mesure de divulguer certaines informations, car deux collègues du journal suivent l'enquête avec la police russe, et ont donc pu confirmer ces résultats.
Vous ne menez donc pas une enquête parallèle ?
Non, nous travaillons avec la police. Nous avons accès aux mêmes sources qu'elle.
Croyez-vous en l'enquête officielle ?
Dans la mesure où mes collègues la suivent de près, je dirais que oui. Mais nous restons tout de même vigilants, car il y a un risque que l'enquête soit instrumentalisée par les autorités. Nous veillons donc à ce que les pièces à conviction du dossier soient interprétées correctement.
Recevez-vous des menaces ?
Personnellement, je n'ai pas reçu de menaces directement liées à l'enquête, mais les journalistes de Novaïa Gazeta sont confrontés à ce genre d'incidents assez fréquemment dans leur travail quotidien. Vous imaginez bien qu'il n'est pas facile de travailler dans ces conditions.
Comment expliquez-vous le fait que les médias russes se montrent si réticents à dévoiler des pistes de l'enquête ?
D'abord, personne n'est sûr de rien dans cette affaire. D'autre part, le sujet n'est pas vendeur : le meurtre d'Anna n'intéresse personne. Les Russes manquent de conscience politique, et ne comprennent pas que cet assassinat constitue un vrai enjeu pour le pays.
Vous-même écrivez peu sur le sujet. Est-ce un choix ?
C'est un choix délibéré, nous attendons des preuves. Je sais que les médias étrangers sont friands de détails sur l'enquête, plus que les médias russes d'ailleurs. Mais je préfère garder le silence, j'estime qu'il est même trop tôt pour faire des commentaires sur les raisons précises de son assassinat.
En marge de sa visite officielle à Moscou, Nicolas Sarkozy a rencontré le 10 octobre dernier, des membres de l'ONG Memorial, qui travaille sur les questions des droits de l'homme, notamment en Tchétchénie. Pensez-vous qu'une telle démarche puisse aider à résoudre les problèmes de liberté d'expression en Russie ?
Je ne peux que me réjouir que la communauté internationale s'intéresse à la question des libertés en Russie. J'estime que ce ne peut être que bénéfique pour notre travail, et, plus généralement, pour une meilleure expression des médias dans ce pays.
Clotilde Tonnerre
Strasbourg France
source Journal europa le 06/11/07
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