Plus loin, au sud, dans les montagnes, la guerre poursuit ses ravages. Aslan fume cigarette sur cigarette, assis sur un banc. Il livre un rare témoignage sur les tortures pratiquées dans la région de Vedeno, sur la base "Vostok", rattachée à l'armée fédérale russe. Ce jeune Tchétchène fait partie d'une unité spéciale pro-russe de 300 hommes tchétchènes, opérant sous le commandement de Soulim Iamadaev, un chef de bande armée rallié à Moscou.
"Là-bas dans les forêts, raconte Aslan, notre base est chargée de traquer les "boeviki" - combattants indépendantistes -. Tous les jours, pendant les patrouilles, il y a des affrontements armés, et tous les jours, un ou deux de nos gars sont tués. Les télés russes ne parlent jamais de ça. Beaucoup d'entre nous perdent aussi une jambe ou un pied sur les "fougassi" - mines artisanales - posées par les boeviki. Voilà comment on procède. On fait des descentes dans les villages, on rafle des jeunes hommes. On les emmène sur notre base, où plusieurs pièces s'ouvrent sur une grande cour. On en met un par pièce, entouré de dix hommes qui s'occupent de lui. Là, on les bat et on les torture à l'électricité. On appelle ça "faire tourner la machine". Parfois ils meurent. On les jette. Il y a des caches souterraines."
"En général, ils se mettent à donner des noms, des adresses", poursuit froidement Aslan, âgé d'une vingtaine d'années, qui affirme être payé 12 000 roubles (environ 350 euros) par mois par l'armée russe. "On dresse des listes. On prend nos véhicules et on part à la recherche de ces hommes, parfois jusqu'à Grozny. On attrape des gens et on les ramène à notre base. Et ainsi de suite...", raconte-t-il. Quelques jours après ce témoignage, la télévision russe a diffusé les images d'une cérémonie solennelle au Kremlin. Vladimir Poutine distribuait des médailles à des militaires prenant part à "l'opération antiterroriste dans le Caucase du Nord". "S'il y avait plus de gens comme vous, notre pays irait encore plus de l'avant", disait le président russe. Parmi les médaillés figurait Rouslan Iamadaev, frère et proche associé du commandant de la sinistre base "Vostok".
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