Le vendredi 26 octobre 2007
Emotion et colère cinq ans après l'assaut du théâtre de la Doubrovka
Ursula Hizy
Agence France-Presse
Moscou
Plusieurs centaines de personnes se sont réunies vendredi devant le théâtre de la Doubrovka à Moscou, pleurant leurs morts et s'interrogeant toujours sur le dénouement tragique de la prise d'otages dans laquelle 130 personnes périrent il y a cinq ans.
La petite foule s'est recueillie au son d'enregistrements de sirènes d'ambulances, de coups de feu, de bruits de la salle où 850 personnes, la plupart venues voir le spectacle musical «Nord-Ost», s'étaient retrouvées piégées aux mains d'un commando tchétchène, du 23 au 26 octobre 2002.
La prise d'otages s'était achevée par un assaut des forces de l'ordre. Celles-ci avaient utilisé un gaz controversé afin de neutraliser les ravisseurs, qui réclamaient le retrait des troupes fédérales de Tchétchénie.
«Si on n'avait pas traité les gens comme du bétail, s'il y avait eu dans la salle les filles (du président Vladimir) Poutine ou du maire de Moscou, cela ne se serait pas passé comme ça», dit à l'AFP Lena Prostomolotova dont la fille Alexandra est morte à l'âge de 32 ans.
«L'expertise médicale après l'autopsie de ma fille a montré une déformation du coeur qui était rempli d'un liquide jaune, elle avait un oedème cérébral et pulmonaire, c'est ce gaz», affirme Mme Prostomolotova.
Sur les trois marches menant au théâtre, un bâtiment moderne sans envergure, des portraits, des cierges rouges, des oeillets rouges et blancs. Sur un mur, un grand panneau avec des photographies de victimes, gardé par de jeunes soldats.
Un couple âgé, le visage marqué par une douleur qui semble encore toute fraîche, serre le portrait peint d'une femme. «Ma soeur jumelle Elena Iakoubenko», explique Olga, leur fille.
«Elle était partie au théâtre. Elle n'est pas revenue», dit Olga, âgée de 51 ans. La famille n'a retrouvé le corps que le 29 octobre dans une morgue, précise le fils de la défunte, Alexandre, 32 ans.
Comme d'autres parents de victimes, ils évoquent le manque d'informations, l'attitude des autorités.
«Mon autre soeur et moi sommes revenues précipitamment de l'étranger où nous avions plus d'informations qu'ici. Les télévisions disaient là-bas que les gens mouraient dans les hôpitaux et nous avons gardé longtemps l'espoir de la retrouver vivante à l'hôpital», dit Olga.
«Alexandre et sa soeur Ekaterina ont manifesté sur la Place rouge dans les jours qui ont suivi et la police les a frappés avec des matraques», ajoute-t-elle. «Nous portions des pancartes disant "Maman, nous t'attendons" et "Halte à la guerre en Tchétchénie"», raconte Ekaterina.
Des parents de victimes de Nord-Ost mais aussi de la prise d'otages survenue deux ans plus tard dans une école de Beslan dans le nord du Caucase, du double attentat du 11 septembre 2001 à New York et des attentats du métro de Londres de juillet 2005 sont montés à la tribune pour dire leur douleur, leur colère et leur solidarité.
«L'État ne veut pas reconnaître ses obligations envers les familles», dit une otage de Nord-Ost, Svetlana Goubareva, dont la fille de 13 ans est morte «écrasée» sous des corps inanimés dans un convoi médical bondé.
Chargée d'un site Internet pour les victimes, elle fait remarquer que deux enfants qui ont perdu leurs parents à quatre et sept ans touchent une pension de sept euros par mois au total.
Après la lecture des 130 noms et de l'âge de chaque victime : une minute de silence, puis un lâcher de ballons blancs.
Des enfants d'une école voisine, portant de grands dessins sont venus. «On ne peut pas ne pas venir ici», dit Vladimir 11 ans. Maria, Alina, 11 ans aussi, et leurs amies viennent tous les ans depuis le début.